Les États-Unis réintègrent l’Accord de Paris: entre le symbole et la réalité

par Hugo Séguin, conseiller principal

Au plan environnemental, l’arrivée de Joe Biden doit bien évidemment être savourée comme une grande bouffée d’air frais. Le contraste avec son prédécesseur est d’ailleurs saisissant, Biden hissant la crise climatique au rang de « menace existentielle », aux côtés des trois autres grandes crises dont il hérite : la pandémie, la crise économique et celle qui menace l’unité nationale. C’est bien la première fois que l’enjeu climatique prend une telle importance dans la grande politique américaine. Un des premiers gestes – à forte portée symbolique – posé cette semaine par la nouvelle Administration aura été de signaler le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat. On doit s’en réjouir, mais aussi garder une bonne dose de lucidité. L’Administration Biden peut certes contribuer à accélérer des tendances lourdes en faveur de la transition énergétique des États-Unis, mais elle ne fera pas de miracles non plus.

 

Un pénible travail de reconstruction

L’Administration Biden devra d’abord réparer quatre ans de massacre à tronçonneuse des politiques et réglementations environnementales héritées de l’ère Obama. On compte d’ailleurs plus de 120 règlements abolis ou émasculés sous l’Administration Trump. Et ceci sans compter le travail de reconstruction d’institutions environnementales dévastées et démoralisées, minées par des nominations politiques de climatosceptiques et de gestionnaires proches du secteur des énergies fossiles et souvent hostiles aux mesures de protection de l’environnement.

Ensuite, le contrôle démocrate au Congrès est ténu, notamment au Sénat, où la minorité républicaine peut encore bloquer toute grande réforme ou politique d’envergure. Selon toute probabilité, Biden devra gouverner à coups de décrets présidentiels, comme il a d’ailleurs commencé à le faire.

On tend finalement à oublier que Joe Biden est un démocrate centriste et modéré, choisi en grande partie en raison de son opposition à la mouvance réformatrice et progressiste du parti. C’est un homme qui privilégie d’instinct une évolution lente à l’intérieur des règles et des structurelles actuelles, pas un homme de transformations radicales. Il a bien signalé son appui de principe au Green New Deal proposé par Alexandria Ocasio-Cortés, mais en se gardant bien d’en épouser les éléments les plus radicaux. On peut aussi se demander jusqu’où Biden se sentira capable d’aller, dans le climat actuel d’épouvantable polarisation politique, et alors qu’il veut marquer sa présidence sous le signe de la réconciliation nationale.

Quoiqu’il en soit, on peut s’attendre à trois types d’avancées en matière d’environnement et de lutte aux changements climatiques.

D’abord, une priorisation des enjeux climatiques et environnementaux à travers tout l’appareil gouvernemental. En ce sens, des milliers de petites décisions – qui passeront le plus souvent inaperçues – seront posées partout, dans tous les secteurs et feront avancer les choses.

Ensuite, un vaste chantier de mise à niveau réglementaire, dans les domaines dévastés par Trump : un meilleur encadrement des polluants, un recul de l’utilisation des terres publiques à des fins industrielles, des normes plus strictes en matière de véhicules automobiles, de protection des espèces menacées et des milieux humides, par exemple.

Finalement, beaucoup d’argent. Contexte oblige, l’Administration Biden ne sera pas celle de la rigueur budgétaire. L’économie est exsangue, les besoins du pays sont immenses… et les taux d’intérêts très bas. En campagne électorale, Joe Biden a proposé un ambitieux plan d’investissement de 2 000 milliards de dollars sur quatre ans pour appuyer la transition énergétique et verdir des pans entiers de l’économie.

Le secteur des transports sera choyé (un boulot idéal pour le surdoué Pete Buttigieg, nouveau Secrétaire aux transports), tout comme celui des infrastructures (notamment dans les régions et communautés défavorisées) et de la construction et de la rénovation (très créateurs d’emplois). Des appuis financiers substantiels sont prévus pour les secteurs de l’automobile, des énergies renouvelables, de l’agriculture et de la R&D.

Avec de nouveaux règlements (dont une partie seront inévitablement contestés devant les tribunaux) et des investissements massifs, Biden tentera d’atteindre une série d’objectifs environnementaux ambitieux, dont une production d’électricité à zéro émission d’ici 2035, et la carboneutralité du pays d’ici 2050.

 

Les États-Unis retournent dans l’Accord de Paris

Au plan international, le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris est un geste important, symbolique, qui contribuera à maintenir et sans doute à stimuler le momentum initié par l’Accord de Paris.

Mais dans les faits, ça ne change pas vraiment la réalité, qui est celle d’un monde certes en transition, mais pas assez rapidement, alors que les impacts des changements climatiques se déchaînent. Aux États-Unis seulement, 2020 aura été une année record, selon la NOAA, avec les feux de forêts incontrôlables et meurtriers en Californie et en Oregon, une sécheresse grave au Colorado et 20 tempêtes tropicales et typhons dévastateurs.

En matière climatique comme dans une foule de domaines, malheureusement, les États-Unis ont une crédibilité très faible. Ce ne sont pas des partenaires sur lesquels on peut se fier dans la durée, soit parce que des avancées multilatérales importantes sont bloquées au Sénat depuis des décennies, soit que les changements brusques d’administration génèrent des engagements politiques en dents de scie, ou soit encore parce que le gouvernement américain – comme le gouvernement canadien – est incapable de respecter les engagements qu’il prend devant la communauté internationale.

Nous nous sommes habitués aux longues absences des États-Unis, qui n’ont jamais ratifié le Protocole de Kyoto, et qui se sont retirés de l’Accord de Paris. Nous nous sommes aussi habitués aux engagements climatiques mous des administrations américaines et aux positions pas particulièrement progressistes de ses négociateurs, y compris sous des administrations démocrates.

Alors oui, l’arrivée de Joe Biden est une bonne nouvelle – pourquoi bouder son plaisir ?

Mais la planète n’est pas encore sauvée pour autant.